Le Régionalisme Critique Antoine 6 octobre 2022
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Le Régionalisme Critique

Je vous partage ici mon mémoire professionnel HMONP rédigé en octobre 2018 sous la direction de Jane Coulon. La version PDF de ce document est à télécharger ici.

Le Régionalisme Critique

Vers une démarche de développement en agence

Comment développer une démarche d’architecture «régionaliste critique» adaptée à chaque nouveau cadre géographique et chaque nouveau contexte professionnel et mettre en place une trame de travail permettant de développer un projet rattaché à un lieu, à une histoire ? Au-delà des modes, retrouver une architecture ancrée dans les racines du temps et de l’espace…

Avant propos

« Le régionalisme critique est une approche architecturale qui s’efforce de remédier à l’indifférence de l’architecture moderne à l’égard de l’endroit ou du lieu de construction, en utilisant les éléments culturels locaux pour enrichir les significations de l’architecture. »
Source : Wikipédia

Le régionalisme critique tel que décrit par Tita Carloni, architecte Tessinois dans les années 1970 indique qu’après la période de l’après-guerre, de l’architecture moderne, du rationalisme italien, de l’époque Franck Lloyd Whright, vient un questionnement sur l’histoire du lieu.

Il faut créer des bâtiments qui ont une légitimité dans le lieu où ils sont érigés. La question de l’adaptation au lieu devient un élément beaucoup critiqué par certains architectes à travers le monde et principalement en Europe où vont se créer des « écoles » en réaction à cette architecture universelle (école tessinoise de Porto etc…).

Par exemple Mario Botta, régionaliste, construit sa maison comme une petite tour en référence aux traditionnelles maisons de campagne estivales en forme de tours, jadis nombreuses dans la région où il habite.

Maison Bianchi – Mario BOTTA, 1973.
Roccoli tour traditionnelle.

Selon Kenneth Frampton (L’architecture Moderne, une histoire critique – Kenneth Frampton, Thames & Hudson (1980-version Anglaise), c’est un style basé sur les principes de l’architecture moderne avant tout, mais moins utopiste, plus réaliste, et se basant sur un travail plus restreint, un fragment qui fait que le travail est fait à petite échelle et non en grands ensembles.

L’action de construction s’arrête à l’impact du bâtiment, qui ne cherche pas à être mis en avant comme un objet mais plutôt à faire corps avec l’environnement dans lequel il se trouve. On travaille beaucoup plus avec le terrain et ses accidents plutôt qu’à chercher à multiplier les « expositions, mises en scène ».

Le bâtiment doit répondre aux spécificités du site par la lumière, le climat et la topographie. On s’imprègne du lieu. On va chercher les sensations tactiles et visuelles, olfactives etc.

Bruder Klaus Field Chapel - Peter Zumthor, 2007.

« Le régionalisme critique dépend du maintien élevé de conscience propre. » Kenneth Frampton. Le mouvement moderne d’après-guerre s’est essoufflé, le brutalisme qui a suivi n’a pas eu l’impact escompté.

Le régionalisme est en définitive un mouvement architectural logique qui est arrivé après une prise de conscience que les civilisations s’uniformisaient et qu’on allait vers une universalité au détriment des richesses locales.

Selon Christian Norbert Schulz :
« Le travail de l’architecte réside dans la création de lieux signifiants qui aident l’homme à habiter. »
Source : Genius Loci, Paysage, ambiance, architecture – Christian Norbert Schulz (1980).

Selon Aldo Rossi :
« …le lieu, un fait singulier, non seulement déterminé par l’espace et le temps, mais aussi par sa dimension topographique, par sa forme, par le fait d’être le lieu d’une histoire ancienne et récente, par sa mémoire ».
Source : Architecture de la ville – Aldo Rossi (1982)

Introduction

L’architecture comme le vin se bonifie avec l’âge, pas seulement grâce à une bonne conservation mais par l’appropriation et l’usage qui vont en être faits.

Cette analogie me semble intéressante pour pouvoir travailler la question du lieu.

La démarche d’architecture régionaliste résulte, à mon sens, de démarches modernes de valorisation de patrimoines locaux dans une région donnée.

Tout comme le vin, l’architecture est multiple et diversifiée. Chaque région viticole possède des cépages (variété de vigne ou de raisin) bien spécifiques à la fois par la variété de vignes qui y poussent mais également par le type de sol.

Ainsi, à l’image de l’architecture, on trouve une très grande diversité d’arômes dans le vin ; par exemple, dans le sud de la France (Sud-Ouest / Languedoc-Roussillon) le vin est réputé avoir du Corps car il est en contact permanent avec le soleil et des terres arides.

De la même manière, l’architecture de chaque région a développé certaines spécificités.

Ainsi, dans la vallée du Lauragais, au Sud de Toulouse, les terres sont fertiles et l’agriculture prospère.
On y trouve une culture majoritairement céréalière.
Les « longères » agricoles de ce paysage de campagne ont été conçues à la fois pour loger le paysan mais également pour y faire sécher le grain récolté. Elles sont donc placées perpendiculaires au vent et largement ouvertes de part et d’autre de la zone de séchage.

Cette spécificité du lieu et son histoire ont permis de développer une architecture adaptée et un paysage homogène.

Avec la mondialisation, ces spécificités se perdent peu à peu et l’architecture s’uniformise d’une région à l’autre.

C’est pourquoi il me semble important de conserver ces spécificités et même de les renforcer en créant une architecture cohérente avec l’histoire d’un lieu et ses caractéristiques.

Les expériences architecturales auxquelles j’ai pu apporter ma contribution au sein des 2 cabinets d’architecture dans lesquels j’ai collaboré, m’ont fortement sensibilisé à la nécessité de revenir à une architecture plus respectueuse à la fois des lieux et des cultures.

Les dernières « tendances » du HQE, BBC etc. sont à mon sens l’amorce de ce mouvement de prise de conscience.

J’ai donc un rôle et une posture à avoir comme architecte qui est à minima de faire perdurer ce mouvement ou d’aller plus loin en m’investissant et m’engageant dans le développement de cette démarche environnementale (à minima) répondant à une démarche globale planétaire indispensable aujourd’hui mais également au niveau local afin de ne pas perdre les spécificités des lieux et toute la richesse des différentes cultures que nous connaissons et qui tendent à disparaître avec la mondialisation.

Mon ambition est donc de trouver et mettre en place une méthodologie et une démarche concrète de travail qui me permettra, tout au long de ma vie professionnelle de proposer des projets qui ne soient, ni déconnectés de l’histoire, des cultures et des spécificités géographiques locales, ni déconnectés des progrès et évolutions technologiques, le tout dans un souci constant de durabilité et de respect de l’environnement qui est la problématique majeure de notre siècle.

Au-delà de la présentation et du retour sur mes expériences et apprentissages permettant de comprendre la naissance et la prise de conscience de la nécessité d’un retour vers un régionalisme réaliste, je présenterai dans ce mémoire 3 projets qui m’ont permis d’avancer dans cette réflexion.

Je proposerai ensuite une méthodologie de travail sur laquelle je travaille actuellement en agence afin de construire très concrètement un outil de travail concerté visant à intégrer de manière systématique une démarche régionaliste dans chaque projet, ou à tout le moins, d’intégrer une réflexion systématique en amont de chaque projet.

Cette méthodologie, telle que présentée ci-après, devra par la suite être validée sur le terrain et adaptée au besoin.

Si elle est validée, elle constituera une avancée importante pour rendre concrète la démarche et engager l’agence dans laquelle je travaille vers une voie nouvelle et vers une architecture à échelle humaine, respectueuse des lieux, des conditions de vie et de l’environnement.

1. L’apprentissage du métier d’architecte

1.1 L’acquisition d’un bagage entre études et stages

Ma première approche du régionalisme critique se situe en Nouvelle Calédonie à l’âge de 12 ans avec Le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou de Renzo Piano.

Mes souvenirs restent multiples, tant par les vues sur la baie depuis le site, le bardage bois dressé à la verticale comme des nids d’oiseaux et les odeurs mélangées des multiples buissons fleuris qui délimitent le terrain…

C’est là, à ce moment précis qu’a commencé, mon expérimentation de l’architecture dite « Régionaliste Critique ».

Centre culturel Jean-Marie Tjibaou – Renzo Piano, 1998

J’ai effectué mes études d’architecture à Toulouse.
Pendant ma licence, je me suis imprégné du travail de certains architectes dit « régionalistes critique » internationaux comme le travail d’Alvaro Siza, de Glenn Murcutt, Jorn Utzon, Balkrishna Vithaldas Doshi etc. mais aussi locaux comme Fabien Castaing et Pierre Debeaux, à travers des analyses et visites de leurs oeuvres.

« Castaing s’est évidemment inspiré du Corbusier, il utilisait le pilotis et le Modulor mais sa grande force était de sortir la quintessence des formes et des matériaux anciens pour s’ancrer dans le monde qui l’entourait et répondre aux besoins de son époque, dans la démarche du régionalisme critique. Pour lui, il ne s’agissait pas de faire un pastiche de l’ancien mais de le transformer dans un langage moderne. Sa signature, c’est une architecture brute qui se sert des matériaux, le galet, la pierre, le
béton, dans leur vérité. Castaing savait regarder autour de lui et allait chercher des techniques expérimentées depuis la nuit des temps. »

Source : La Dépêche – Article du 04/01/2016.

J’ai ensuite orienté mes choix vers un master à dominante Urbanisme afin de mieux comprendre certains enjeux à une échelle plus large, pouvoir travailler sur des programmes pouvant avoir un impact à l’échelle d’un village / d’une ville.

En 4ème année, j’ai réalisé mon mémoire de master sur une ville à laquelle je m’étais intéressé et que j’avais visitée un an auparavant, Chandigarh (en Inde). Je me suis inspiré d’une étude que faisait plus globalement mon tuteur de mémoire sur « comment retravailler la notion d’énergies dans les villes ».

Ma démarche a été de découvrir comment un Secteur (portion de ville de 1200m X 800m) avait été pensé par Le Corbusier et son équipe pour avoir une certaine efficacité énergétique.
Cette recherche m’a permis de comprendre que la construction de la ville de Chandigarh par le Corbusier et son équipe a probablement été la plus grande expérimentation d’architecture moderne tropicale du milieu du 20ème siècle.

Depuis que je suis à la Réunion, de nombreuses problématiques me questionnent. L’une d’elles vient d’une question qui m’a été posée un jour par une élue de La Possession : « la typologie de logements collectifs n’est historiquement pas existante à la Réunion, comment définir une architecture moderne créole ? »…

J’ai donc commencé à réfléchir, dans mes projets, à certaines intentions, certaines formes, certains matériaux etc… J’ai regardé des outils mis en place comme la RTAA DOM.

J’ai la volonté de vouloir intégrer les projets que l’on réalise à l’agence, dans leur contexte. Si des éléments d’architecture créole sont assez facilement trouvés pour rattacher aux lieux, aux usages (végétation abondante et diversifiée, la varangue, les toits à 4 pans, les persiennes, le kiosque etc.) en revanche il existe très peu d’éléments historiques, notamment en habitat collectif.

Les matériaux traditionnellement utilisés sur l’île pour les « Cases créoles » ne sont plus utilisés par la plupart des habitants qui associent le bois et la tôle à une époque où tout habitat construit avec ces matériaux était détruit au moindre cyclone. Du fait de cette mémoire collective, le béton est devenu majoritairement utilisé et il n’y a plus de production locale de matériaux de construction. Pas d’utilisation du bois local (à de rares exceptions), pas d’utilisation de la pierre de lave pourtant si présente…or le béton a une forte capacité à absorber la chaleur et la diffuser.

Cet état de fait permet de dire aujourd’hui que le régionalisme critique réunionnais est plus marqué par les usages liés au climat qu’à son histoire et ses matériaux.

1.2 Mon projet professionnel

J’ai choisi d’effectuer la formation Habilitation à la Maitrise d’OEuvre en son Nom Propre pour plusieurs raisons : Tout d’abord, malgré quelques années d’expérience, le manque de travail en Marché Public faisait que je n’étais pas très à l’aise quant aux procédures administratives de la Loi MOP.

Je commençais également à réaliser des chantiers pour lesquels il devenait indispensable d’avoir des bases plus solides afin de les mener à bien.

La HMONP est pour moi une étape indissociable du métier d’architecte tel que je souhaite l’exercer.
Je souhaite avoir les connaissances nécessaires pour pouvoir réaliser un projet, des études à la réalisation, et ainsi avoir une certaine autonomie et pouvoir être maitre de l’oeuvre pour laquelle je m’investis.

Je vois donc la formation HMONP comme une opportunité de pouvoir approfondir les connaissances déjà acquises et étendre mon savoir-faire afin de pouvoir prendre de nouvelles responsabilités au sein de l’agence.

Dans un second temps, la HMONP est également un investissement pour l’avenir.

Depuis que je travaille à l’agence 222Architectes, le gérant David Gouardères, également toulousain d’origine me fait part de sa volonté à terme, d’ouvrir une agence à Toulouse afin de diversifier géographiquement les opportunités de contrats, face à la problématique insulaire de la Réunion.

De plus, son frère, travaillant anciennement pour des promoteurs immobiliers à Toulouse, a rejoint l’agence comme salarié en 2018 à la fois pour gérer les aspects administratifs de la société mais également pour commencer à faire de la prospection sur place.

Il m’a donc été proposé, une fois la HMONP terminée de pouvoir partir à Toulouse afin d’être sur place pour travailler sur les projets, pouvoir rencontrer les clients, les bureaux d’études etc.

Il est envisagé, dans un premier temps, que je m’installe dans un espace de co-working, si possible avec des Bureaux d’Etudes Techniques ou des entreprises de BTP afin de créer un réseau professionnel.

De manière plus hypothétique, nous avons également discuté d’une possibilité, à terme, de m’associer sur la structure toulousaine afin que je puisse acquérir plus d’autonomie sur une structure que j’aurai pu développer.

La Réunion est très formatrice pour « l’architecture Régionaliste » étant donné que le climat est une donnée avec laquelle nous sommes très fortement contraints de composer.

Cet environnement de travail me donne beaucoup de matière à réflexion pour construire une démarche d’architecture régionaliste et m’aidera dans mes futurs projets toulousains.

1.3 Première expérience : La rentabilité au cœur de la conception

A la fin de mes études, le marché toulousain étant en pleine crise, peu d’agences d’architecture recrutaient.

J’ai accepté un poste dans une agence de taille relativement importante et bien en place localement.

Leurs projets sont quasi-exclusivement des logements et l’agence n’en sort pas moins de 1000 par an.

Le projet architectural à l’agence se résumait en une recherche de capacité maximale en phase faisabilité en intégrant des modèles de logements déjà étudiés au millimètre.

Les études de faisabilité étaient amenées par des promoteurs directement au gérant qui les distribuait aux différents architectes-dessinateurs.

Il n’y avait donc ni relation clients, ni suivi des projets car d’une phase à l’autre le projet pouvait changer de mains, ni chantiers car l’agence employait un conducteur de travaux.

L’agence tournait principalement grâce à une douzaine d’architectes juniors, coordonnés par les deux associés.

La répartition des différentes phases de projets se faisait de manière spontanée et sans suivi particulier de chef de projet.

Cette expérience m’a permis d’une part de faire mes premières armes et mettre en pratique des connaissances théoriques. Elle m’a également appris à composer avec des contraintes fortes, et à travailler dans un groupe.

Néanmoins, cette expérience ne m’a pas permis de m’épanouir totalement, laissant en effet peu de place à la créativité et à l’initiative, avec une organisation très approximative.

Ce manque d’organisation et de suivi m’a permis de me rendre compte de l’importance d’avoir une personne référente par projet afin d’éviter la perte d’informations et de favoriser l’investissement de chacun dans son travail.

En effet, j’ai pu, lors de ces 6 mois, constater le manque d’efficacité de cette méthode de fonctionnement par des erreurs commises faute de réunions de passation d’informations entre des phases de projet et par le « turn over » important des salariés à l’agence.

Ce style d’agence d’architecture que je qualifierai de « productiviste » m’appris tout de même, pendant les 6 mois ou je restais, une certaine rigueur dans le travail.

A la fin de mon contrat, j’ai décidé de changer de perspectives, les agences toulousaines n’étant pas encore remises de la crise économique, et d’aller m’installer sur l’Ile de la Réunion où grâce à un réseau relationnel personnel j’ai eu la chance d’obtenir des propositions d’embauche dans deux agences locales.

1.4 Une expérience enrichissante : Une jeune agence en pleine croissance

David Gouardères a ouvert l’agence 222architectes en 2012 et a travaillé tout d’abord seul sur quelques projets, principalement de logements. L’agence est alors installée dans une extension de la villa du gérant.

En 2014, il est rejoint par Mélodie, architecte d’intérieur, l’aidant à travailler sur les projets de villa mais aussi pour les appels d’offre ou gestion administrative de l’agence.

En 2015, Marine, architecte DE, et moi-même rejoignons à notre tour l’agence alors en pleine expansion et commençant à accéder à des petits collectifs de logements et quelques bâtiments tertiaires.

Assez rapidement, les locaux deviennent trop étroits pour travailler à 4 et l’agence se délocalise dans des bureaux à Piton Saint Leu.

L’emplacement est stratégique car l’agence est à l’étage d’un bâtiment dans lequel, au même moment, se monte un espace de co-working principalement composé d’entreprises dans les domaines du BTP.

Une fois l’agence installée, l’équipe est complétée en 2016 par un dessinateur et une secrétaire.

1.5 Un développement ouvert et participatif

A mon arrivée, fin 2015, l’agence étant encore en tout début de croissance, il n’y avait pas d’organisation particulière. Chacun gérait un ou deux projets et le gérant s’occupait seul de la gestion administrative et de la prospection en plus de diriger les projets.

Avec l’arrivée de nouveaux salariés et du changement de locaux en 2016, une secrétaire est alors arrivée en renfort pour la partie administrative de l’agence et les appels à candidature.

L’agence a ainsi fonctionné jusqu’en 2018 ou il a été décidé de commencer à structurer celle-ci :

Etant composée d’un gérant, deux architectes, une architecte d’intérieur, un dessinateur/projeteur et d’une secrétaire, le gérant était alors constamment sollicité en interne et avait des difficultés à garder du temps pour prospecter.

Faisant régulièrement part aux salariés des questionnements organisationnels interne, a commencé à émerger l’idée de mettre en place un poste de « chef d’agence » qui serait un filtre entre le gérant et les salariés afin de pouvoir se consacrer pleinement à la prospection.

Marine, l’architecte désignée pour ce poste du fait de son expérience, a dû retarder la prise en charge de sa mission de plusieurs mois pour des raisons personnelles.

Avec l’évolution du panel de projets et du réseau de prospection, au retour de Marine, la structuration de l’agence est devenue un sujet majeur.

Le projet d’expansion de l’agence vers des projets toulousains a, à ce jour, pris quelque retard.

Il est en effet nécessaire de sécuriser davantage le projet, notamment par la signature des premiers contrats avant de pérenniser une structure sur place.

Dans l’attente, un travail sur une meilleure structuration de l’agence réunionnaise est entrepris collectivement au sein de l’agence : afin de mieux gérer la montée en charge de l’agence locale et de préparer l’extension de la structure sur Toulouse dès que l’activité le permettra.

J’ai proposé, da ns la perspective d’un développement plus important et afin de donner une « signature » à 222Architectes de mettre en place une démarche de régionalisme critique.

J’ai présenté cette idée au gérant de l’agence, idée qui rejoint son approche de contextualisation.

Avec l’arrivée d’une chef d’agence qui contrôle le bon déroulement de chaque projet, s’est posée la question de l’autonomie et l’investissement que chacun allait avoir si un cadre n’était pas posé à ce contrôle individuel.

J’ai alors proposé de développer une démarche architecturale propre à l’agence et qui deviendrait la base de travail de chacun des projets.

Ceci pourrait alors devenir « l’image de l’agence » ou sa « signature ».

En effet, le travail des projets deviendrait structuré autour de cette démarche, les problématiques environnementales et contextuelles seraient partie intégrante de la réflexion, l’esthétisme du projet ne venant qu’à l’issue de cette réflexion. L’esthétisme étant une notion subjective, elle pourrait être travaillée dans un second temps et avec la Maitrise d’Ouvrage.

L’agence dans laquelle je travaille porte, à travers son gérant, une réelle attention à l’avis de ses salariés quant au fonctionnement de l’agence et des stratégies à adopter pour la développer.

Beaucoup de choses devaient être mises en place pour réussir à organiser le travail, et nous avons tous mis en place, au fur et à mesure, des outils nécessaires au fonctionnement, par exemple : des fichiers type comme base de travail pour chaque projet, des méthodes d’estimation, etc. et nous enrichissons régulièrement une banque de données interne.

1.6 Mes missions

Ce fonctionnement m’a permis d’être au coeur des projets qui m’étaient confiés, de pouvoir suivre leur évolution phase après phase et d’être en contact direct avec tous les acteurs.

J’ai pu travailler sur des missions assez différentes, et toutes m’ont permis d’élargir mon champ de connaissances et faire appel à ma créativité :

● Projet repris d’un confrère en repartant à zéro tout en conservant l’enveloppe pour laquelle le permis de construire avait été déposé. J’ai donc été amené à repenser entièrement les logements en termes de ventilation. Le DCE a ensuite été réalisé puis la partie exécution a été confiée à une maitrise d’oeuvre.

● Projet de villa confié et pour lequel j’ai pu suivre seul la mission complète de l’esquisse à la réception.

Ce projet a été très formateur tant pour les échanges avec les entreprises et les clients que pour la gestion et coordination du chantier.

Je me suis retrouvé face à des clients exigeants, pas très disponibles et changeants constamment d’idées. L’entreprise principale (Tous Corps d’Etat) a eu également des difficultés d’organisation.

Il a donc fallu gérer les retards, les sous-traitants, les situations mensuelles ainsi que le planning.

J’ai ainsi pris conscience de l’investissement réel que représentait la phase réalisation/chantier.

J’ai également pu voir les relations s’envenimer au fur et à mesure que le chantier prenait du retard et qu’il approchait de la fin.

La phase de levée de réserve a été très complexe étant donné qu’il fallait trouver un juste milieu entre les exigences de chacun.

En parallèle, ont commencé à m’être attribués plusieurs dossiers de mise en conformité accessibilité et sécurité incendie.

● Un hôtel puis successivement pour une Maison d’Assistantes Maternelle et deux restaurants.
Ces dossiers m’ont amené à me plonger précisément dans les règlementations en vigueur. J‘ai également pu, pour chaque dossier, obtenir des rendez-vous avec la DEAL pour la partie accessibilité handicapé et avec le SDIS pour la partie sécurité incendie.

● La Cour d’Appel de Saint Denis (dossier en cours), m’a permis de traiter un sujet encore différent étant donné qu’il s’agit d’un lieu à la fois accueillant du public, des employés mais également des accusés voire des prisonniers.

J’ai également été confronté à la procédure à mettre en place afin de sortir des contraintes réglementaires classiques face à la supériorité juridique que représente une Cour d’Appel. Mais aussi sur l’organisation particulière et la difficulté de s’adresser à des interlocuteurs multiples mais non décisionnaires.

En 2017 j’ai également pu être formé à la Réglementation thermique des DOM TOM (RTAA DOM) ce qui m’a permis d’élargir mes connaissances et ainsi mieux pouvoir gérer les projets qui m’étaient confiés dès le départ.

Fort de ces acquis, j’ai pu travailler par la suite sur plusieurs collectifs d’une quinzaine de logements où j’ai pu développer certaines intentions d’architecture tropicale.

C’est en me renseignant, au-delà de la RTAA DOM, sur des sujets comme la ventilation naturelle, l’impact de la végétation ou encore la protection solaire, que j’ai pu mieux comprendre leur fonctionnement.

Il a dès lors été plus facile de pouvoir convaincre à la fois mon gérant et notre client de certaines intentions architecturales.

Ma réflexion s’est tout d’abord portée sur les logements eux-mêmes, leur organisation : en long avec les pièces en enfilade afin de garantir un plus grand nombre de logements puis dans un second temps et avec l’évolution de la RTAA DOM je me suis penché sur la question de la ventilation naturelle des pièces principales et de service.

Il a donc fallu travailler les logements dans la largeur à la fois pour tout ventiler plus facilement mais aussi pour éviter d’avoir la chambre sur coursive.

Une fois ce parti pris plus sensible trouvé, la question des occultant extérieurs est naturellement arrivée.

Il a fallu libérer les coursives de tout élément technique pouvant faire obstacle à la ventilation et végétaliser les coursives et pieds de façades afin de garantir une entrée d’air frais dans les logements.

Ayant répété ce procédé sur plusieurs collectifs, c’est devenu de manière imperceptible une démarche naturelle de conception pour les logements collectifs.

De même pour la végétation à planter, pour chaque projet nous essayons de promouvoir des espèces endémiques plutôt qu’exotiques.

Or, certains clients considèrent que « l’espace jardin » d’une résidence est compliqué à entretenir.

Nous proposons donc d’y planter en plus des espèces endémiques quelques fruitiers afin de donner envie aux usagers de s’occuper de ces plantations par eux-mêmes.

Ceci pourrait s’apparenter à un fonctionnement de jardin partagé.
Cette idée est en développement.

De manière générale, chacun a une grande autonomie à l’agence et suit, la plupart du temps, les projets du début à la fin. Ce fonctionnement donne un fil conducteur cohérent aux projets, permettant que chacun puisse s’y investir de manière optimale.

C’est aussi le meilleur moyen pour que chacun puisse acquérir les connaissances nécessaires inhérentes au processus de construction, chacun d’entre nous gardant néanmoins sa spécialisation en fonction de ses goûts ou ses aptitudes.

1.7 Une prise de conscience

Selon les sources de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) :

Le secteur du bâtiment : premier consommateur d’énergie

En France, la consommation de ce secteur atteint les 10 millions de tonnes d’équivalent pétrole. Cela se traduit par 43 % de l’énergie finale totale utilisée et des émissions de C02 représentant 25 % des émissions nationales (second poste).

Qui plus est, ces émissions comprennent uniquement les émissions liées à l’exploitation énergétique des bâtiments, et par conséquent ne comprennent pas celles liées à la construction des bâtiments et au transport généré par ces constructions.

Une consommation qui ne cesse de progresser

Malgré le renforcement progressif des réglementations thermiques des bâtiments neufs depuis les années soixante-dix et plus récemment des réglementations pour les bâtiments existants, l’ ADEME chiffre à :
● + 15 %, la croissance des émissions de Gaz à Effet de Serre du secteur (depuis 1990) ;
● + 30 % l’augmentation de la consommation énergétique dans les logements et les bureaux (ces trente dernières années).

L’ADEME a réalisé une étude prospective sur les incidences des changements climatiques et ses conséquences sur l’habitat :

(Cf. étude prospective sur les impacts du changement climatique pour le bâtiment à l’horizon 2030 à 2050 – ADEME)

Ces schémas de l’ADEME donnent des pistes de travail pour la conception de bâtiments en prenant en considération les changements climatiques qui vont s’opérer d’ici le milieu du 21ème siècle. Les points proposés sont une énumération des dispositions générales à désormais prendre en compte lors de la conception d’un bâtiment.

Il me semble intéressant de prendre en compte ces éléments comme une base fondatrice de nos projets en agence et d’aller au-delà en apportant des solutions concrètes et particulièrement à la Réunion où les phénomènes climatiques (tempêtes, chaleur, inondation etc.) sont déjà très présents.

2. Analyse critique des projets

Afin de mieux comprendre l’impact qualitatif du Régionalisme Critique dans la construction, nous analyserons 3 projets réalisés en agence.

L’analyse portera sur les critères ci-dessous relevant pour certains de la démarche Haute Qualité Environnementale (HQE) tandis que d’autres seront plus de l’ordre du « bon sens » :

– Ensoleillement / chaleur
– Ventilation
– Végétation
– Topographie
– Le confort visuel
– La gestion de l’eau
– Le contexte urbain
– Histoire / morphologie

2.1 Perle Bleue

Projet Perle Bleue, perspective depuis la rue du Général Lambert, Saint Leu

La commande de ce projet a été de repartir d’un Permis de Construire déposé par un confrère et de revoir quasi intégralement les aménagements intérieurs.

Le projet Perle Bleue m’a permis de poser les premières réflexions quant à une morphologie d’architecture tropicale.

En comparaison avec les logements collectifs métropolitains où souvent un collectif est organisé en strates dans son épaisseur en : logement – coursive – logement, en milieu tropical, le principe et la nécessité de logements traversant amène à une organisation intérieure des logements bien différente.

Ainsi, en étude de capacité, ma réflexion s’est d’abord portée sur le fait d’épaissir le bâtiment en rendant les logements bien plus longs que large afin d’en implanter le maximum.

Les premières problématiques à l’issue de cette réflexion :

Chaleur / ventilation

– Les premières problématiques se sont portées sur l’organisation même du logement puisque qu’avec un travail dans la longueur, on se retrouvait avec une séquence : séjour – cuisine – sdb / WC – chambre et de ce fait avec la chambre côté coursive ainsi qu’une salle de bain et WC non ventilés naturellement.

– D’un point de vue confort hygrothermique, avec les chambres à l’Est et les séjours à l’Ouest, cela permet de protéger les chambres des rayonnements solaires de l’après-midi et ainsi garder un espace nuit plus frais. Le phénomène de couloir devient alors automatique et la ventilation naturelle d’une façade à celle opposée et de balayage des pièces principales (séjour et chambre) n’est pas évidente. Il faudra alors ajouter des éléments secondaires telles que :
– une grille devant la porte palière pour permettre la ventilation traversante avec le séjour
– un espace « séchoir » devant la chambre afin, à la fois de mettre à distance de la coursive
mais aussi de donner la possibilité aux usagers de laisser la fenêtre de chambre ouverte sans
soucis de sécurité.

– L’implantation générale des deux bâtiments ne permet pas une ventilation optimale du bâtiment sur rue car le bâtiment le plus long lui fait barrière.

La végétation

– La végétation du site et l’implantation altimétrique des bâtiments ne permet pas d’exploiter la végétation comme élément de rafraichissement car elle est plutôt disposée en écran aux flux venteux et trop haut sur le terrain pour pouvoir passer à travers le bâti. Des pieds de bâtis végétalisés et largement plantés de part et d’autre des logements auraient créé un filtre rafraichissant pour l’air avant d’entrer dans le logement. Or ici les pieds de bâtis sont principalement minéralisés et servent à l’accès au parking.
De même, réduire l’effet « barre » du bâtiment arrière en laissant une faille aurait permis une meilleure pénétration des vents entre les deux bâtis.

Le confort visuel

– Les vues sont assurées pour la plupart des logements, par un cadrage en direction Ouest vers la mer. La disposition des bâtiments, l’un derrière l’autre amène cependant certains logements à avoir un cadrage sur le bâtiment sur rue.

La gestion de l’eau

– La question de l’eau a été plutôt problématique puisqu’à Saint Leu, lieu du projet, le réseau pluvial est saturé et les inondations sont fréquentes. Il a fallu rehausser le bâtiment pour éviter tout problème lors du gonflement des nappes phréatiques. De plus, la zone minéralisée entre les deux bâtis créait une grande zone imperméable pour laquelle il a fallu trouver des solutions techniques pour gérer l’eau.

Contexte urbain

– D’un point de vu urbain, le petit bâtiment à l’alignement sur rue répond proportionnellement au tissu existant aux alentours. Cependant, de par l’alignement cela ne permet pas de respiration végétale au sein même de la rue principale pouvant apporter de l’air frais ainsi qu’un peu de distance par rapport à la rue pour les logements la surplombant.

2.2 BM43

Projet BM43, perspective depuis la rue d’Anchain, La Possession

Après avoir expérimenté une typologie de logements en longueur et d’en avoir vu les limites, il a été décidé d’expérimenter une autre organisation permettant à la fois de ne plus avoir de chambre sur coursive et également d’avoir une salle de bain ventilée naturellement.

Ensoleillement / chaleur

– Les logements collectifs étant majoritairement construit en béton pour des raisons économiques mais également culturelles, il fallait trouver une solution afin de protéger le béton au niveau des logements et de sa capacité à engranger de la chaleur.

– Les façades du bâtiment ont donc été travaillées principalement pour répondre à cette problématique en ajoutant du bardage sur toutes les parties des logements directement en contact avec le soleil. Le reste étant laissé uniquement en béton peint.

La ventilation

– Le principe de séchoir côté coursive a été conservé et devient une pièce technique permettant de résoudre de nombreux problèmes : il est un espace tampon entre logement et coursive, on ouvre les jalousies à l’intérieur, on y installe le chauffe-eau, les unités de climatisation et le lave-linge, on y stock des affaires, et on peut laisser toutes les ouvertures côté coursive ouvertes pour ventiler sans être vu.

La végétation

– La végétation va devenir un élément plus important dans le projet et on va commencer à systématiser le principe d’avoir à minima des persiennes sur varangues et des jardinières.
Cependant, une bande en pleine terre et plantée en pied de bâti aurait été le plus efficace pour rafraichir l’air entrant dans les logements.

– Le jardin commun sera également plus travaillé, disposé en partie Nord-Ouest et composé à la fois d’espèces endémiques pour le respect des essences locales mais aussi de fruitiers favorisant ainsi l’autogestion des espaces vert commun par l’intérêt qu’il peut apporter à travers les récoltes. Les locaux techniques en rez-de-chaussée sont couverts par des toitures végétalisées afin de prolonger artificiellement le jardin pouvoir en faire profiter les premiers logements en R+1.

Projet BM43, perspective façade Ouest, La Possession

Topographie – Gestion de l’eau

– Le bâtiment profite de la topographie du terrain pour créer un parking semi-enterré et ainsi décoller le bâtiment du sol en évitant les possibilités d’inondation ou détérioration due à l’eau.

– Les eaux pluviales seront gérées de manière à alimenter directement les toitures végétalisées de part et d’autre de la résidence ainsi que les jardinières.

Le confort visuel / contexte urbain

– Face à l’incertitude de pouvoir avoir une vue mer depuis la parcelle, les cadrages de vues depuis les varangues privilégient le jardin collectif du projet. Ce dernier sera largement planté et suffisamment à distance de la limite séparative pour se sentir pleinement aéré dans un espace de végétation luxuriante.

– Côté rue, des jardinières et une toiture végétalisée et plantée en R+1 animeront la façade et donneront un aspect de « jardins suspendus » afin d’alléger le côté minéral de la voirie.

2.3 BM41

Projet BM41, perspective depuis la rue E.Texer, La Possession

Ensoleillement / chaleur

– Comme pour la BM43, une attention particulière a été portée sur les matériaux de façades afin de protéger les logements du rayonnement solaire. Ainsi on trouve des bardages type lames bois ou plaques de fibrociment.

Ventilation

– Pour ce projet, comme pour le BM43, nous avons gardé le principe de séchoir d’entrée tout en améliorant son efficacité : désormais une porte munie d’une jalousie permet une ventilation plus importante de l’espace séjour/cuisine.

– Également, la porte de la chambre sera munie d’une jalousie en imposte et sera placée en parallèle de chacune des façades opposées, ainsi que dans un même axe.

Végétation

– Le bâtiment en L a été placé de manière à ce que la plus grande façade avec les varangues côté Nord puisse être ventilée et rafraichie par des pieds de façade végétalisés et plantés de part et d’autre.

– Des jardinières sont présentes de toute part du bâtiment, à la fois côté rue et coursives afin d’aérer l’espace minéral de la rue, mais également au niveau de chaque varangue pour rafraichir ces dernières et permettre à chacun de pouvoir avoir un « potentiel espace de culture ».

– Des toitures terrasse de locaux techniques en rez-de-chaussée sont végétalisées et accentuent l’effet « jardins suspendus » du collectif.

Topographie

– Le terrain étant quasiment plat, nous profitons de pouvoir décoller entièrement les logements par rapport au sol et ainsi d’y placer le parking et locaux communs. Cette démarche limitera dans le temps les possibilités d’inondation et de dégradation du bâti.

Gestion de l’eau

– Les façades étant largement ouvertes en rez-de-chaussée, nous mettrons en place des bandes de propreté afin de gérer les éclaboussures d’eau sur le bâti.

– Un système de stockage des eaux pluviales sera mis en place afin d’alimenter les jardinières sur coursives.

Contexte urbain

– Comme pour la BM43, les façades côté rues ont été traitées pour aérer le côté minéral des voiries.

– Le jardin collectif côté rue va amener de la fraicheur au bâti lui-même mais également au contexte urbain dans lequel le projet s’insère.

Projet BM41, perspective façade Nord, La Possession

Après quelques recherches, je me suis rendu compte que pour la ventilation naturelle d’un logement je n’adoptais jusque-là pas de raisonnement particulier si ce n’est que cela fonctionnait d’un point de vu réglementation RTAA DOM.

Or celle-ci a des limites et n’explique pas le facteur limitant que peut être une porte de chambre par exemple au milieu d’un flux d’air traversant un logement.
En effet, il va être beaucoup plus efficace de placer les différentes ouvertures traversantes d’un logement dans un même axe ou tout du moins prioriser des implantations sur des plans parallèles plutôt que perpendiculaires.

Aussi, des ouvertures verticales plutôt qu’horizontales sont également plus efficaces en termes de ventilation.

La recherche qui a été faite à travers ces trois projets a amené petit à petit à systématiser des éléments comme les brise soleil, les débords de toiture, la végétation etc.… et on se rend compte au fur et à mesure que même si on utilise des matériaux modernes pour gagner en performance, le fait est que la meilleure solution en terme de performance énergétique et de confort d’usage reste de concevoir intelligemment un bâtiment dans son lieu d’ancrage.

Les projets BM41 et BM43 ont été travaillés en corrélation avec une élue et des responsables du service urbanisme de la Mairie de la Possession à travers plusieurs échanges car ceux-ci nous ont demandé d’essayer de définir ce que pourrait être une typologie de logements collectifs Créole sachant que cette typologie n’existait pas historiquement.

Il me semble qu’aujourd’hui le rôle de l’architecte n’est plus d’inventer de nouvelles typologies, les nouveautés résident désormais dans la technologie et dans le développement de matériaux toujours plus performants.

L’architecture moderne s’est répandue de manière identique sur le globe en oubliant le simple fait qu’on ne construit pas de la même manière en tous lieux.

Ce n’est donc pas un retour en arrière qu’il faut adopter, mais une réadaptation de l’architecture moderne d’un point de vu Régional voire ultra-local.

Ceci permettrait à la fois logiquement de réduire les consommations énergétiques (climatisation/chauffage etc.) puisque le bâtiment serait adapté à chaque climat dans lequel il s’insère, mais permettrait aussi de redonner de la diversité architecturale et patrimoniale à chaque zone géographique délimitée par des particularités climatiques ou usuelles.

3. Vers la mise en place d’une démarche qualitative et Régionaliste Critique

Un problème auquel je me confronte à chaque nouveau projet en agence est la connaissance du lieu.

Chaque nouveau projet m’est amené par un numéro de cadastre qui va devenir un plan informatique. Des informations vont être amenées progressivement, le bornage, la topographie, les hauteurs de bâtis environnent, voir même quelques photos.

Il nous est donc possible de monter un projet à partir de ces informations. Cependant la sensibilité du lieu ne sera pas transmise à la personne en charge du projet.

Ce que j’entends par sensibilité du lieu est l’analyse qui peut en être faite et qui va servir à créer le projet.

Il me semble donc important de réussir à mettre en place une démarche qui permettrait, en agence, de pouvoir monter un projet de manière pertinente.

3.1 Trame de travail : concevoir dans un lieu

Les différentes typologies de lieu dans lesquelles nous développerons un projet doivent déterminer un processus de réflexion d’un point de vue de «l’accroche au lieu».
On pourra ainsi avoir des démarches différentes si le lieu est :

Urbain :
Quand ce lieu est urbain, nous chercherons à identifier les alignements, les vis-à-vis, le vocabulaire architectural du quartier, ses détails, les motifs, les matériaux…

Agricole :
Quand le lieu est à dominante agricole, nous aborderons la géographie de cet environnement : le minéral, le végétal, la disposition des vues, des accès… Nous chercherons à sentir son «microclimat» en identifiant la nature des protections ou des expositions (les vents, la proximité du voisinage, les arbres, un coteau, la course du soleil…)

Neutre :
Mais parfois le lieu reste muet, ou simplement banal (zone suburbaine, lotissement, friches…). Dans ce cas-là, en manque d’inspiration locale, nous n’hésiterons pas à affirmer que c’est le projet qui fera le lieu.

L’architecture peut s’imposer alors pour devenir le catalyseur d’une identité à venir.

On pourrait décomposer un travail de recherche en plusieurs étapes :

– Recherche de la « mécanique naturelle » d’un lieu : ensoleillement / vents / végétation / eau

• Soleil : travail avec diagramme solaire et prise en compte des éléments occultant sur site.
• Vents : travail avec une rose des vents et prise en compte des barrières naturelles sur site.
• Végétation : travail des continuités végétales, du recensement des espèces remarquables et travail de l’ombrage et rafraichissement

– Recherche d’accroche au lieu : topographie / vues

• Topographie : implantation ayant un impact réduit sur le terrain naturel
• Vues : concevoir en cadrant des zones spécifiques, prise de conscience du terrain dans lequel on va utiliser le bâtiment

– Recherche de lien au lieu : morphologie / contexte urbain / histoire

• Contexte : urbain ou rural, lignes directrices, alignements, tissu existant à proximité et rapport au contexte.
• Morphologie / histoire : définition de l’identité du lieu d’un point de vue historique, rapport au passé, identité locale amenant à un projet respectant et en corrélation avec cette histoire du lieu.

Tous ces éléments sont une base de travail sensible pour répondre à un engagement pour une architecture Régionaliste critique.

Les limites de l’exercice
Il est difficile en agence, de prendre le temps de poser une réflexion face à la marche en avant constante rythmée par les échéances quotidiennes des projets.

La question du temps est récurrente et problématique face à une volonté de travailler davantage le sujet du climat ou faire des recherches sur un lieu.

A la Réunion, des stations météo enregistrent les données climatiques à certains endroits. Cependant il y a plus de cent microclimats sur l’île…

Il faudrait, pour bien faire, pouvoir, pour chaque projet, recueillir directement des données sur site et ce, pendant une année entière.
Ceci demanderait donc de l’équipement, être formé pour traiter les données recueillies et surtout beaucoup de temps avant de pouvoir commencer à faire l’esquisse d’un projet.

Or, aujourd’hui nous travaillons principalement avec des promoteurs privés qui fonctionnent toujours dans l’urgence.
Il n’est donc pas possible de pouvoir faire une analyse climatique à très court terme et pouvoir rentrer dans les délais, déjà plus que restreints des promoteurs.
Par ailleurs, financer une étude climatique sur un terrain ne pourrait être viable que sur un projet d’une certaine ampleur et non pour des collectifs de quinze ou trente logements collectifs.

Des études climatiques pourraient être menées au même titre qu’une étude de sol. Cependant, comme pour les contraintes liées aux règlementations (accessibilité / sécurité), ce serait à nouveau au détriment de la qualité d’un bâtiment pour lequel il faudrait à nouveau compresser l’enveloppe budgétaire.

Or aujourd’hui, les promoteurs privés sont très contraints par les coûts donc si le financement des études spécialisées devient trop important par rapport au cout global, la production architecturale risque de fortement diminuer.

C’est pourquoi une première approche pourrait être plus globale en partant des données des stations météorologiques les plus proches que l’on pourrait recouper avec une analyse, sur site des éléments pouvant altérer ces données primaires : par exemple, repérer les obstacles éventuels (bâtis, végétation) susceptibles de couper les vents dominants.

La question du lieu est également délicate car si l’architecte à l’origine de la conception d’un projet conçoit dans un lieu qui lui est familier, alors il est à même de pouvoir en comprendre les enjeux, en connaître les contrastes, l’histoire etc.

Il sera probablement déjà investi et sensible à l’architecture locale.

Se pose donc la question : « un architecte doit-il uniquement construire dans les lieux qu’il connaît bien ? ».
Naturellement on pourrait répondre que non car il est admis qu’un architecte doit être par nature adaptable.

Cependant, au même titre que pour la question climatique, l’histoire d’un lieu ne s’apprend pas juste en l’observant.

Une réelle compréhension d’un lieu passe par une pratique, un savoir, un vécu. Dans ce cas, comment un architecte peut-il concevoir dans un lieu nouveau pour lui ?

3.2 Vers la recherche d’un outil de travail :

Afin de mettre en place une démarche active au sein de l’agence, je vais, dans un premier temps, proposer une analyse sensible du site à travers une fiche d’identification du lieu.

Cette fiche aura pour but de collecter l’ensemble des données recueillies pour une parcelle en vue de réaliser une implantation plus qualitative.

Également, elle permettra de pouvoir répondre plus facilement aux appels d’offre pour lesquels il est demandé une analyse de site et une démarche globale sans esquisser réellement de projet.

Dans un second temps, il conviendra de re-questionner le projet à chaque phase d’avancement afin de le faire évoluer avec la sensibilité du lieu déterminée dès le départ.

Pour ce faire, des outils existants seront utilisés comme le tableau des cibles de Haute Qualité Environnementales associées aux différentes phases opérationnelles ci-dessous :

Tableau de contrôle des cibles HQE par phase opérationnelle, Qualité Environnementale des bâtiments, manuel à usage de la maitrise d’ouvrage et des acteurs du bâtiment. ADEME (2002).

A chaque phase de projet, des objectifs environnementaux sont ciblés.

Ce tableau peut être un outil de contrôle en interne pour chaque phase opérationnelle pour laquelle il faudra apporter des solutions concrètes. Ainsi, les notions de qualité, de confort et de durabilité seront au cœur de notre conception.

CONCLUSION

Mon évolution personnelle et professionnelle à travers des expériences très différentes m’a amené à un certain nombre de questionnements quant à l’avenir du métier d’architecte.

Avec la perspective prochaine d’une évolution professionnelle dans un cadre géographique différent de la Réunion, a commencé à émerger l’idée de développer systématiquement une démarche qualitative que l’on pourra associer à du « Régionalisme Critique ».

Cette démarche se traduira par la mise en place d’une trame environnementale et la prise en compte systématique d’une sensibilité historique et d’usage local.

Cet engagement, au même titre que le Régionalisme Critique, se situe à l’encontre d’une production architecturale universelle non adaptée à un lieu précis et dénaturant les spécificités locales.

Cette production universelle peut même être, dans certains cas et particulièrement à la Réunion, créatrice de consommations énergétiques disproportionnées plutôt que raisonnées (par exemple avec la climatisation).

C’est pourquoi, à travers de multiples discussions dans mon cadre professionnel, nous avons décidé de tenter de faire coïncider cet engagement avec celui du développement de l’agence.

Sans forcément aller vers une certification ISO 9001 ou 9004, le but est de mettre en place une démarche qualitative à la fois dans l’organisation interne mais également qualitative pour les projets.

Celle-ci est aujourd’hui en cours de développement et la formation HMONP, à travers la rédaction du mémoire aura permis d’apporter des outils concrets en vue de ce développement.

Un suivi de ces outils théoriques sera réalisé dans les prochains mois à venir afin de les affiner par rapport à la réalité en agence.

Une problématique subsiste à la Réunion, celle des matériaux de construction, ces derniers étant aujourd’hui quasi-exclusivement importés.

Or, aux vues des couts énergétiques que représente le transport de ces marchandises, il serait souhaitable de pouvoir développer une production locale.

L’utilisation de certains matériaux semble évidente : la pierre de lave (structure, parements, chaux etc.), le bois (bien que peu présent aujourd’hui) etc.

Les déchets issus des cultures de cannes à sucre pourraient également servir : la bagasse en produisant de l’énergie, ou en fabricant des panneaux isolants par exemple…

Un travail sur les matériaux pourrait devenir une manière de renforcer l’identité du lieu tout en ayant un impact environnemental plus maitrisé.

Les prochaines décennies auront à prendre en compte ces nouveaux facteurs afin de redonner à nos lieux de vie un sens et un devenir à nos existences, c’est notre responsabilité d’architectes que de le mettre en œuvre et de le promouvoir…